Chez soi de Mona Chollet

En ces temps de confinement, lire « Chez soi » de Mona Chollet.

A lire gratuitement sur le site des Éditions Zone

Citations

“J’ai les moyens d’acheter des livres, mais moins de temps pour les lire. En contemplant les piles qui encombrent l’appartement, j’essaie d’évaluer de combien leur volume dépasse déjà la somme de temps que j’aurai jamais à leur consacrer. Je découvre avec soulagement qu’en japonais il existe un mot pour cela : tsundoku (“acheter des livres et ne pas les lire; les laisser s’empiler sur le sol, les étagères ou la table de nuit”).”

“Aimer rester chez soi, c’est se singulariser, faire défection. C’est s’affranchir du regard et du contrôle social. Cette dérobade continue de susciter, y compris chez des gens plutôt ouverts d’esprit, une inquiétude obscure, une contrariété instinctive. Prendre plaisir à se calfeutrer pour plonger son nez dans un livre expose à une réprobation particulière. “Tout lecteur, passé et présent, a entendu un jour l’injonction : “Arrête de lire ! Sors, vis !””,constate Alberto Manguel. En français et en allemand, le mépris des “fous de livres”, cette créature chétive et navrante, a donné naissance à l’image peu flatteuse du “rat de bibliothèque”, qui, en espagnol, est une souris, et en anglais carrément un ver (bookworm), inspiré du véritable ver du livre, l’Anobium pertinax.”

“Rêvasser, paresser, lire, écrire, écouter de la musique, regarder des films, jouer, dormir, faire l’amour, dessiner, converser : beaucoup d’activités qui se déploient dans le cocon de la maison impliquent le repli sur un microcosme, l’évasion dans l’imaginaire ou la dérive insouciante. Elles impliquent de renouer avec une identité secrète, différente, de s’en remettre à ses ressources propres, de se laisser porter.”

“Le temps est le trésor vital des casaniers. Pour les processus qu’ils espèrent enclencher, il leur en faut beaucoup, bien plus que les normes sociales ne sont disposées à leur en accorder. Il leur en faut une profusion dans laquelle ils pourront plonger, s’ébattre, s’ébrouer, virevolter.”

“De même, Charlotte Perriand loue la maison traditionnelle japonaise parce qu’elle « n’essaie pas de paraître, mais de mettre l’homme en harmonie avec lui-même ». Elle partage la conviction du philosophe Soetsu Yanagi, grand redécouvreur des arts populaires de son pays, selon laquelle « le beau ne doit pas être bavard ; il doit comprendre un élément de silence ». Ce refus de la pose va de pair avec une capacité à prendre en compte tous le sens, au lieu de privilégier la vue, comme le font beaucoup d’architectes et comme le fait, plus généralement, toute notre culture obsédée par l’image.”

“Ce que je recherche dans le voyage, c’est la façon dont il enrichira l’après, plus que le voyage en lui-même. L’essentiel, pour moi, se joue dans le quotidien, dans l’ordinaire et non dans sa suspension.”

“Pour se laisser dériver entre ses quatre murs, il faut disposer d’une quantité généreuse de temps, cesser de compter les heures et les minutes.”

“Ecrivain voyageur ou écrivain “voyant”, le mot décisif reste “écrivain”. Bouvier rappelle d’ailleurs la forte réplique de Blaise Cendrars à Pierre Lazareff qui lui demandait s’il était réellement allé jusqu’à Kharbine (Mandchourie) : “Qu’est-ce-que ça peut te foutre, puisque je t’y ai emmené ?”

“Pour mieux écouter, observer et sentir, il faut avoir lu, réfléchi, rêvé. Il faut conserver un mélange de passion, de pureté et d’honnêteté intellectuelle intransigeante, et ne jamais relâcher sa vigilance face à la tentation des grilles de lecture trop simples. “

“Je continue d’éprouver un besoin impérieux de solitude, et d’apprécier ces moments, mais ce n’est plus la même qualité de solitude. Je ne retrouverai jamais l’intégrité mentale, la paix et la concentration des heures de lecture dans la bibliothèque de mon enfance ou sur le canapé de mon adolescence. Comme le dit si bien une image diffusée par l’écrivain Douglas Coupland, qui a beaucoup circulé… sur Internet : « Mon cerveau d’avant Internet me manque » (« I miss my pre-Internet brain »). Je suis plus anxieuse, plus impatience. Je développe une exigence déraisonnable de fonctionnalité, de facilité, de rapidité.”

“Fini les balades régulières sur une poignée de sites, toujours les mêmes : le système de la recommandation de liens me propulse d’un bout à l’autre du cyberespace, tel le Baron de Münchhausen sur son boulet de canon. Et impossible de m’en détourner en décrétant qu’il s’agit d’une perte de temps, d’une occupation futile ou inepte : le plus souvent, en dépit de la posture dédaigneuse qu’il est de bon ton d’adopter à ce sujet, si l’on tend ses filets aux bons endroits, c’est intéressant – et c’est bien cela le pire. Alors qu’après quelques années on pourrait me supposer blasée, le matin, au moment où je dépose mon mug de thé sur le bureau et où j’allume l’ordinateur, j’ai souvent encore un frémissement d’impatience à l’idée de découvrir mes prises de la nuit et de retourner me joindre aux conversations.”

“Les écrivains, ou les artistes en général, sont aussi les seuls casaniers socialement acceptables. Leur claustration volontaire produit un résultat tangible et leur confère un statut prestigieux, respecté (à ne pas confondre toutefois avec une profession, puisque la plupart gagnent leur vie par d’autres moyens). (…) Beaucoup, sans être artistes, éprouvent un besoin tout aussi régulier de solitude. Mais il leur sera très difficile d’en imposer la légitimité. La société continue de prendre cette revendication comme un affront. Vouloir rester chez soi, s’y trouver bien, c’est dire aux autres que certains jours – certains jours seulement -, on préfère se passer de leur compagnie ; et cela pour se consacrer à des occupations ou, pire, à des absences d’occupation qui leur paraîtront incroyablement vaniteuses ou inconsistantes. Qui oserait refuser une invitation en expliquant en toute simplicité qu’il est mieux chez lui ? On le jugera capricieux, snob, égoïste ; on l’accusera de jouer les divas, on se demandera pour qui il se prend. Mieux vaut trouver une excuse plus solide : on a du travail, on est un peu malade…”

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