Poème

Poème de Marie Ravenel, née le 21 août 1811 à Réthoville et morte le 8 mars 1893 à Fermanville, poétesse originaire de la Manche. Poème en adéquation avec le temps.

La tempête

Oh! n’allez pas plus loin! la soirée est affreuse,
Le bois crie et gémit, la route est ténébreuse,
Nos prés sont des étangs, nos toits sont déchirés;
La grêle et l’ouragan, le tonnerre et la pluie,
Se liguent pour nous faire une guerre inouïe…
Bon voyageur, entrez !
Voyez comme, là-bas, la Manche tourmentée,
Charge de tout son poids la grève épouvantée,
lit puis, en reculant, met les bas-fonds à sec.
Qu’allez-vous devenir, pauvres nefs pèlerines,
Quand la tempête enlève aux roches sous-marines
Leurs manteaux de varech ?
Un long cri de douleur vient de percer l’orage :
C’est ce que l’on craignait, mon Dieu! c’est le naufrage
Plus fort, avec le flux, le gros temps a sévi.
Chacun nomme les siens, tout se lamente et pleure;
Quatre pêcheurs, hélas ! se sont, depuis une heure,
Noyés au cap Lévi.
Sous la rage du vent, la vague haute et noire
Tourne, en se dérobant, le nez du promontoire,
Et dans le havre a sec, bondit comme un torrent;
Avec elle entraîné, plus d’un frêle navire,
Tout disloqué déjà, touche, craque et chavire
Sur le nocher mourant.
Et les eaux se gonflant, roulent, exaspérées,
Les cadavres meurtris, les barques démembrées,
Des amas de galets, d’habits et de limon…
Oh! qu’à d’autres malheurs votre bonté s’oppose,
Vous qui régnez au Ciel et dont le pied repose
Sur le front du démon!
Reine des mariniers, nombre d’autres victimes
Se débattent encor dans l’horreur des abîmes,
Et luttent pour leurs jours, qu’un rien peut achever;
Arrêtez le ressac, portez-les sur la lame,
Vers ce peuple éperdu qui crie et les réclame,
Mais ne peut les sauver.
Plus d’une veuve est là, morne, désespérée.
Naguère, chaque soir, la famille adorée,
D’un bon père, avec joie, accueillait le retour.
Il ne reviendra plus… l’espérance est tarie,
Le foyer sans chaleur, et, peut-être, ô Marie!
Sans le repas du jour…Dieu l’a voulu!
C’est lui dont la main toujours pleine,
Au nid du passereau donne la tiède laine,
Lui qui soulève l’onde et permet le trépas.
Ses décrets sont cachés; mais il aura son heure:
L’œil qui garde Israël et la pauvre demeure
Ne s’endormira pas.

novembre 1859

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2 réponses

  1. Mimiblue dit :

    Quel poème à propos !!! A l’heure où la tempête fait rage chez nous aussi, quand les vagues viennent arracher les barrières qui surplombent la mer à une bonne dizaine de mètres et alors que les antennes ont repris forme droite sur mon toit…. Je tremble !!!

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